L’hémophilie, due à la mutation d’un seul gène, est une perspective appropriée pour la thérapie génique. Il manque aux personnes atteintes d’hémophilie une protéine du facteur de coagulation, le facteur VIII ou IX, ce qui empêche la formation de caillots sanguins et présente le risque d’hémorragies graves. Cela résulte d’une mutation du gène (F8 ou F9) responsable de la production des facteurs de coagulation manquants. En ciblant ces gènes mutés, la thérapie génique introduit une version saine, totalement fonctionnelle, du gène défectueux, fournissant à l’organisme les instructions correctes pour produire les facteurs de coagulation manquants. Cette technologie apparemment simple et pourtant extrêmement complexe pourrait apporter une « guérison fonctionnelle » aux personnes atteintes d’hémophilie, les hémorragies disparaissant pratiquement chez la plupart des patients traités.
Ces progrès ont suscité beaucoup d’espoir chez les personnes atteintes d’hémophilie, les soignants et les médecins qui les prennent en charge. Jusqu’à maintenant, la thérapie génique a cependant été uniquement testée chez un nombre relativement limité de patients, suivis pendant des périodes relativement courtes lors d’essais cliniques. Les résultats de ces essais cliniques ont changé la vie de ceux qui y ont pris part. « De nombreux participants ont pu interrompre leur traitement prophylactique avec une réduction considérable — et dans certains cas une élimination complète — des hémorragies. Ainsi les patients ont-ils pu se libérer du fardeau des perfusions répétées et du risque persistant d’hémorragies, » explique le docteur Glenn Pierce, vice-président de la Fédération mondiale de l’hémophilie en charge des affaires médicales. Le docteur Pierce fait cependant preuve d’un optimisme prudent et ajoute qu’« il faudra étudier davantage de patients pendant de plus longues périodes avant que nous sachions réellement dans quelle mesure les thérapies géniques sont efficaces, combien de temps leurs bénéfices durent et si des événements rares et inattendus liés à la sécurité sont susceptibles de se produire ».
Cette déclaration souligne l’importance de la surveillance continue tout au long de la vie de toutes les personnes atteintes d’hémophilie recevant une thérapie génique indépendamment de l’endroit où elles vivent, et a été l’impulsion du développement du Registre de la thérapie génique (RTG) de la Fédération mondiale de l’hémophilie (FMH). Ce registre est destiné à recueillir des données sur tous les patients atteints d’hémophilie et bénéficiant d’une thérapie génique, partout dans le monde. Le premier produit de thérapie génique devrait être commercialisé en 2020, les patients aux États-Unis et en Europe devraient être les premiers à avoir accès à des produits de thérapie génique approuvés. Le nombre de patients recevant réellement une thérapie génique pourrait être relativement faible au départ et augmenter progressivement dans le temps à mesure que les centres de traitement seront prêts à administrer ce traitement spécialisé, les programmes de remboursement seront approuvés et l’autorisation réglementaire s’élargira à d’autres pays. La détection d’événements rares ou tardifs liés à la sécurité et l’établissement de la durée des effets de la thérapie génique — en particulier dans les petites populations de traitement d’une maladie rare comme l’hémophilie — signifient que la collecte de données concernant chaque patient bénéficiant de la thérapie génique est cruciale. Le docteur Barbara Konkle, présidente du Registre de la thérapie génique de la FMH, indique que « le recueil de ces données dans une base de données ou registre unique est essentiel pour garantir que nous disposions d’un pool de patients suffisamment important afin de pouvoir détecter des événements de sécurité rares qui pourraient sinon ne pas être détectés. Chaque patient a un rôle à jouer en veillant à ce que ses données soient recueillies sur le long terme et fassent partie des futures preuves de la thérapie génique ».
Un groupe multipartite d’organisations professionnelles et de particuliers partage l’avis du docteur Barbara Konkle et collabore avec la FMH pour garantir la réussite du développement et de la mise en œuvre de cette initiative de recueil de données. Le RTG de la FMH — en collaboration avec la Société internationale de thrombose et d’hémostase (ISTH), le Consortium européen de l’hémophilie (EHC), la Fondation nationale de l’hémophilie (NHF) aux États-Unis, le Réseau américain d’hémostase et de thrombose (ATHN), des partenaires industriels et des acteurs réglementaires — a été conçu pour collecter un jeu standardisé de données de base sur tous les patients bénéficiant de la thérapie génique. Ce registre sera à disposition de l’ensemble des prestataires de soins de santé en charge de patients recevant la thérapie génique, où qu’ils se trouvent dans le monde. Les données des patients ayant donné leur consentement seront directement saisies via les centres de traitement de l’hémophilie (CTH) participants. Pour les pays comme les États-Unis disposant d’un registre national solide (ATHN), les données seront directement combinées entre la base de données de l’ATHN et le RTG de la FMH, tous les ans, avec le consentement des patients. Cette stratégie exploite les registres établis recueillant déjà des données de base sur la thérapie génique et allégera ainsi le travail de saisie des CTH. Cette initiative de collecte de données est une responsabilité partagée. Professionnels de santé et patients devront œuvrer de concert pour recueillir les données concernant les patients recevant la thérapie génique, en veillant à ce que leurs expériences soient saisies dans un registre tout au long de leur vie.
Cet ensemble croissant de données de sécurité et d’efficacité à long terme définira au final l’avenir de la thérapie génique dans l’hémophilie. La FMH sensibilise aujourd’hui les communautés de professionnels de santé et de patients au RTG, dont la mise en œuvre devrait commencer au deuxième semestre 2020.
Cet article a été précédemment publié dans le numéro estival de HemAware.