Depuis le développement de thérapies administrées par voie intraveineuse, la question de la présence de matière particulaire dans les médicaments injectables est une source de préoccupation pour les médecins. Alors que certaines particules peuvent être d’origine externe (par exemple, issues de la préparation du produit pour l’injection), d’autres sont « intrinsèquement » liées au processus de fabrication du médicament concerné. Dans ce dernier cas, de telles particules peuvent provenir de la solution elle-même et de ses composantes, du contact avec les composantes utilisées lors de la fabrication (par exemple la tubulure) ou du conditionnement du produit (par exemple le bouchon en caoutchouc). Par le passé, l’injection par voie intraveineuse de certaines solutions injectables contenant des matières particulaires a causé un préjudice. La Pharmacopée américaine (United States Pharmacopeia ou USP) a donc établi un seuil précis visant à définir le niveau de matière particulaire dans les préparations destinées à un usage intraveineux et déclaré qu’avant toute dispensation, tout flacon contenant une préparation pour injection par voie intraveineuse devait être inspecté, dans la mesure du possible, afin de vérifier la présence de toute matière particulaire et étrangère observable dans le contenu et qu’en cas de dépassement dudit seuil, ledit flacon ne devait pas être distribué. Les procédures de test visant à déterminer la présence de matière particulaire sont définies par l’USP et les fabricants sont tenus de respecter les normes de l’industrie.
Les matières particulaires présentes dans des produits injectables par voie intramusculaire et sous-cutanée ne sembleraient pas constituer le même risque que dans le cas d’une administration par voie intraveineuse, mais les normes de l’industrie s’appliquent toujours et les seuils sont définis sous la supervision des régulateurs (notamment la Food and Drug Administration ou FDA).
Le 5 octobre 2019, la FMH a reçu la déclaration suivante des représentants de Roche/Genentech/Chugai, fabricants de l’emicizumab (Hemlibra) :
Au cours d’un examen de routine de lots du médicament, réalisé dans le cadre du système et du processus de contrôle qualité, des particules translucides, difficilement visibles ont été identifiées dans Hemlibra® (emicizumab), au-delà du niveau de particules prévu dans les spécifications du produit.
Ces particules sont inhérentes au produit et, sur la base des évaluations toxicologiques et de sécurité et de l’examen des données disponibles, le rapport bénéfice/risque de Hemlibra demeure inchangé. Il s’agit de protéine (substance du médicament Hemlibra) et d’huile de silicone (polydiméthylsiloxane ou PDMS). L’huile de silicone est un polymère organique non toxique inhérent à tout traitement parentéral. Les particules translucides sont couramment observées et présentes dans d’autres produits biologiques.
Nous avons notifié les autorités sanitaires en mars 2019. L’Agence européenne des médicaments (EMA), la Food and Drug Administration américaine (FDA), Swissmedic, Santé Canada et le Ministère de la santé, du travail et de la protection sociale du Japon partagent tous les conclusions de notre évaluation selon laquelle le rapport bénéfice/risque de Hemlibra reste inchangé, et ont convenu de la poursuite de la dispensation de Hemlibra aux patients afin d’éviter toute interruption du traitement. Nous avons soumis les résultats de notre analyse finale aux autorités de santé et poursuivons nos échanges avec elles.
Nous sommes déterminés à produire des médicaments de haute qualité pour nos patients, raison pour laquelle nous mettons en œuvre des procédures strictes de fabrication, de contrôle et de test pour tous nos médicaments, notamment Hemlibra.
La FMH a été informée du problème, le 5 octobre 2019, et des représentants de Roche/Genentech/Chugai ont répondu à ses questions.
La FMH a eu connaissance des éléments suivants :
- La matière particulaire est présente dans des flacons d’emicizumab, qui ont été utilisés aussi bien lors des essais cliniques que lors de la commercialisation du médicament. Le niveau de matière particulaire est supérieur au seuil préétabli par le fabricant.
- Rétrospectivement, il s’avère que ce problème existait déjà dans les premier essais cliniques mais qu’il n’avait pas été identifié à l’époque.
- Il s’agit d’un problème de fabrication qui figure dans la littérature scientifique et qui fait l’objet d’un suivi des autorités régulatrices de santé qui ont procédé à son évaluation et considéré qu’en l’état, le rapport bénéfice/risque lors de l’utilisation de l’emicizumab reste inchangé.
- La découverte de matière particulaire dans les flacons d’emicizumab a été examinée par les autorités régulatrices de santé des États-Unis, du Canada, de Suisse, de l’Union européenne et du Japon qui ont, à l’unanimité, considéré que le rapport bénéfice/risque restait inchangé, dans les conditions actuelles de production et de mise à disposition aux patients.
- Les autorités réglementaires grecques ont convenu que les patients participant déjà au programme d’accès élargi de Roche pouvaient continuer à le faire, mais qu’aucun nouveau patient ne serait intégré avant que la question ne soit complètement réglée.
- Il est probable que le risque inhérent à la présence de matière particulaire dans des solutions injectables par voie sous-cutanée est moindre que par voie intraveineuse.
- Aucun effet indésirable lié à la présence de matière particulaire n’a été signalé. À ce jour, aucun utilisateur final du médicament n’a signalé quoi que ce soit à Roche/Genentech/Chugai.
En outre, la FMH émet les recommandations suivantes :
- La FMH demande à Roche/Genentech/Chugai de mener un examen exhaustif de ses procédures de fabrication et de contrôle qualité afin de veiller au mieux à ce tous les médicaments soient conformes aux normes de l’industrie s’agissant des seuils relatifs aux matières particulaires de l’emicizumab.
- La FMH a demandé à ce que Roche l’informe de tout changement du rapport bénéfice/risque émis par toute autorité réglementaire et des résultats de l’examen de ses procédures de fabrication et de contrôle qualité, notamment des conclusions finales des autorités grecques.
- La recommandation actuelle selon laquelle aucun changement dans le prescription du médicament, ni aucune interruption dans l’utilisation d’emicizumab ne doit intervenir constitue une recommandation provisoire sous réserve de notre évaluation de l’examen exhaustif mener par Roche/Genentech/Chugai de ses procédures de fabrication et de contrôle qualité.
- La FMH invite instamment Roche/Genentech/Chugai à informer à l’avenir, en temps opportun et de façon organisée, la communauté des patients et des professionnels de santé. Une fois le problème soumis à plusieurs autorités régulatrices, la diffusion de l’information n’a pas été gérée de façon adéquate : dans l’ensemble, l’information transmise auprès des organisations nationales membres (ONM) a été retardée ; les organisations ont reçu les éléments de façon graduelle dans le temps, pour peu qu’elles l’aient été et les éléments transmis étaient différents d’une organisation à l’autre. Cette pratique est inacceptable et ne permet pas à la communauté de faire toute confiance à Roche/Genentech/Chugai, alors même que ces derniers avaient souligné l’importance qu’ils donnaient à ce dernier point.
Tout patient ou aidant ayant des questions ou des inquiétudes au sujet de la présente situation est invité à contacter son centre de traitement de l’hémophilie. La FMH continuera à suivre attentivement la présente question et tiendra ses membres informés, selon que de besoin.
Sources
United States Pharmacopeia. https://www.usp.org/biologics. En date du 6 octobre 2019.
Tawde SA. Particulate matter in Injectables: Main cause for Recalls. Journal of Pharmacovigilance (2014) 3(1):1000e128.
Tran T, Kupiec TC, Trissel LA. Particulate Matter in Injections: What is It and What are the Concerns? International Journal of Pharmaceutical Compounding (2006) 10(3):202-204.
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